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Interview Jean Marc Quarin

Grands Crus de Bordeaux 2012 : le classement de Jean-Marc Quarin

L’un des plus grands critiques français nous livre en exclusivité ses impressions sur les Grands Crus de Bordeaux 2012. Evolution du goût, de la qualité des grands crus et recommandations avisées… Jean-Marc Quarindévoile rien que pour vous ses conseils et impressions à l’occasion de la sortie de son dernier livre, le Guide Quarin des vins de Bordeaux. Propos recueilli par Régis Paul, Président-Fondateur d’European Millesimes.

Régis Paul : vous évoluez parmi les plus grands critiques de vins qui sont pour la plupart anglo-saxons. Ne vous sentez-vous pas un peu seul ?

Jean-Marc Quarin : Si les gens qui écrivent sur le vin sont nombreux, il existe très peu de critiques indépendants. Ces spécialistes ne se contentent  pas de goûter un vin mais le suivent depuis les primeurs jusqu’à la mise en bouteille et tout au long de sa vie. De plus, rares sont les personnes dont le revenu  ne dépend pas de la publicité des châteaux. Dans le Monde, nous sommes donc très peu à exercer cette profession !

R.P : Le milieu des critiques compte très peu de Français. La France compte pourtant les meilleurs sommeliers au Monde. Pourquoi ce paradoxe ?

J-M Q : Le métier de critique indépendant est très difficile. D’abord, d’un point de vue humain, mais aussi parce qu’il est très long de se faire sa place. Pourquoi j’ai réussi ? C’est à mes lecteurs et à ceux qui participent à mes dégustations de vous répondre.

R.P : Evoquons ensemble un sujet brûlant, celui de l’évolution dans la conception et la vinification des vins ces dernières années. Pouvez-vous nous révéler les tendances ? Il semble que les grands millésimes se suivent les uns après les autres. Nous confirmez-vous cette tendance ?Grands Crus de Bordeaux

J-M Q : A propos du vignoble bordelais, qui est ma spécialité, le niveau moyen de qualité a considérablement monté depuis 2000. Aussi, la discrimination qualitative effectuée sur la base de la valeur du millésime, a peu à peu perdu son sens. Ces dernières années, on a découvert un facteur d’amélioration majeur. Il s’agit de la main de l’homme.

Lorsque l’économie du vin est florissante, le plus souvent, il suffit que l’homme investisse pour qu’il obtienne de bons résultats. Il peut par exemple investir dans le travail viticole, dans la sélection ou encore œuvrer pour tamponner les effets climatiques. Cette constatation revient à dire que l’homme joue le rôle de « second terroir ». C’est une notion qui doit être comprise des consommateurs, pour qu’ils s’échappent de certains diktats, totalement erronés. Actuellement, le prix d’un vin est souvent calqué sur la représentation médiatique du millésime. Mais ce type de système, trop généraliste, peut facilement devenir obsolète. En effet, il existe de superbes réussites dans des millésimes peu réputés et donc bien moins chers.

Ma force est d’être au plus près du terrain : j’habite Bordeaux. Mon travail consiste à mettre en avant les vins qui sortent du lot. Parmi ces perles rares, je pense notamment à Palmer 2002, Latour 2002, La Conseillante 2001, Domaine de Chevalier 2004, Haut Bailly 2006, Mouton Rotschild 2007, La Clotte 2008, Eglise Clinet 2008 et bien d’autres encore. Mon travail consiste à dénicher plus vite que les autres ces vins rares, en particulier, avant que le marché ne s’en aperçoive et que le prix ne s’élève rapidement.

Il existe donc bel et bien un véritable phénomène de progression moyenne de la qualité. Dans le Guide Quarin des vins de Bordeaux, j’ai estimé ce phénomène pour chaque propriété. Aussi, sur les 14 derniers millésimes, il est facile de dresser une tendance. On remarque immédiatement qui stagne, qui régresse ou progresse et surtout de combien, par rapport à l’indice de progression moyen. En effet, il s’écoule en moyenne une dizaine d’années entre les prémices d’un changement de qualité et le moment où le marché en prend conscience. C’est le temps qu’il faut pour les investisseurs et les amateurs pour faire de bonnes affaires ! En outre, de nouvelles valeurs, encore inconnues, naissent de cette relative régularité. Il s’agit de valeurs liées à la marque et à son style de goût et non du millésime. Ainsi, si le consommateur apprécie le goût, il devient un réel point de repère. Un critère qui peut être bien plus important que l’un ou l’autre millésime de Palmer.

Dans cette optique, il est donc préférable de choisir du 1999, qui a eu tendance à être sous-estimé par le  marché. En revanche, le 2000 a été largement surestimé par ce même marché. Cette flambée a été relativement irrationnelle, encouragée par les marchands et certains producteurs prétendant que leur produit est le millésime du siècle. Cette promesse, les acheteurs y croient de moins en moins…

Enfin, sur le marché apparaissent des outsiders. Il s’agit de vins remarquables dont le goût est bien supérieur à ce que l’étiquette laisse suggérer. Ce phénomène s’explique de manière simple. En période économique florissante, certains propriétaires de crus dans des appellations moins célèbres voire de crus non classés entament une démarche basée sur des efforts en terme de qualité. Mais à Bordeaux, le prix est clairement basé sur l’appellation et sa valeur. Toutefois, si un producteur décide de changer la manière de travailler sur ses appellations, et notamment s’il s’applique à la manière des crus plus fortunés, la représentation qualitative s’en voit profondément modifiée, de manière insoupçonnable !

Prenons un exemple. Si vous travaillez une vigne de l’appellation Médoc avec la même assiduité et avec des coûts semblables à ceux d’appellations plus prestigieuses telles que Saint-Estèphe ou Pauillac : le niveau s’élèvera considérablement. Vos vins deviendront alors de sérieux compétiteurs de vins réputés et en particuliers, de vins qui vivent sur cette réputation. C’est la dégustation qui valorise ces outsiders. Ces vins rares sont les vraies valeurs de demain et constituent pour les investisseurs de fantastiques affaires !

R.P : Pouvez-vous nous parler des différences entre vieux et jeunes millésimes. Le goût a-t-il changé ?

J-M Q : Effectivement, le gout a changé. Ce dernier est directement lié aux conditions économiques ainsi qu’au développement des savoir-faire au fil des époques.

Par exemple, l’acidité volatile des vins, caractéristique avant les années 50, ne se retrouve plus aujourd’hui. C’est une caractéristique qui ne pouvait être prévenue à l’époque et qui faisait donc tout naturellement partie du paysage gustatif, en d’autres termes, de la norme. De même, si vous goûtez les grands crus de 1986, vous pourrez aisément percevoir des tanins plus carrés qu’à l’heure actuelle. Parfois, vous détecterez également plus de maigreur ou d’acidité. Cette époque n’est pourtant pas si lointaine ! Les vins d’aujourd’hui sont plus charnus, plus moelleux et moins austères. Ces particularités sont dues au fait que les raisins sont vendangés plus mûrs. C’est pourquoi, ils sont désormais plus agréables à boire jeunes. Toutefois, cette caractéristique ne veut pas dire pour autant qu’ils ne tiendront pas dans le temps.

Nous avons observé que les producteurs ne savaient pas faire de bons vins jeunes. C’est pourquoi nous avons recommandé d’attendre les vins. A l’époque, les producteurs demandaient clairement aux amateurs de finir leur travail, en gardant les vins en cave le temps nécessaire. Mais ce temps pouvait aussi jouer en défaveur de ces vins. Il pouvait notamment en gommer le caractère fruité. L’éclat du fruit est en effet la différence majeure entre un vin jeune et vieux.

Toutefois, il faut reconnaître que rien n’égale un vin à maturité, c’est-à-dire entre 15 et 30 ans. A cet âge, le tanin est patiné, le fruit est encore présent, le bouquet est apparent,  un phénomène impossible chez un vin jeune. De plus, la douce sucrosité apportée par la garde ne manque pas de charme.

R.P : Quels sont les ingrédients nécessaires à la réussite d’un grand vin ?

J-M Q : Réussir un grand vin nécessite une grande application à la vigne ainsi que des cépages en porte greffes adaptés. De même, un vin aura davantage de chances de réussite avec une bonne densité de plantation, un âge moyen des vignes d’une trentaine d’années et un excellent terroir. Des outils de vinification adaptés, un climat favorable et un réseau de distribution efficace ne font qu’accroitre les chances de réussite. Un bon discours sur le goût, de la passion et un bon pilote permettent d’harmoniser le tout afin d’atteindre ses objectifs. Evidemment, les investissements financiers sont indispensables et rendent les choses bien plus simples.

grands crus de bordeauxR.P : Vous êtes spécialiste des Grands Crus de Bordeaux. Pourquoi ne pas vous intéresser aux autres vins français tels que les Bourgognes ou les Champagnes ?

J-M Q : Au début de ma carrière, j’ai considéré que 120.000 ha de terrain d’observation, avec plus de 60 appellations, des vins blancs secs mais aussi des liquoreux et au total 30 appellations de vin rouge étaient largement suffisants. Un éventail de vins que je passe du temps à analyser, à comprendre, à expérimenter et à juger. J’ai choisi de suivre les Bordeaux de manière systématique depuis une vingtaine d’années mais je reste curieux de tous les vins de France et d’ailleurs. Où qu’ils soient, je ne manque pas de signaler les meilleurs vins à mes lecteurs. Mais être spécialiste de plusieurs régions nécessite beaucoup de temps pour la découvrir donc je ne sais si l’on peut réellement être spécialiste de plusieurs régions…

R.P : Etre critique des Grands Crus de Bordeaux et vivre à Bordeaux, est-ce inconciliable ?

J-M Q : Finalement, non. Le tout est de garder une certaine distance et de rester proche en même temps. Je dois évidemment justifier mes critiques. C’est pourquoi je suis parfois amené à vivre des situations assez cocasses !

R.P : Margaux arrive en tête de votre liste. Comment s’explique votre choix ?

J-M Q : Les atouts de Château Margaux ne manquent pas. Château Margaux, c’est un style aromatique très parfumé et une bouche aux atouts tactiles remarquables, toujours soyeuse. Son fruité éclatant, son tanin raffiné et sa finale sapide font de ce vin une valeur sûre. Autre atout, sa puissance qui s’exprime tout en douceur ce qui rend ce vin particulièrement raffiné et subtil. Sa place parmi les vins les plus luxueux est amplement méritée. Il sait en effet associer à merveille raffinement et puissance. Prenons l’exemple du Château Margaux 2003 qui a obtenu la première place. Cet excellente performance est liée directement aux nombreuses dégustations comparatives avec les plus grands Bordeaux réalisées à l’aveugle et en public. Ces dégustations se sont faites avec des bouteilles achetées dans le commerce et non fournies par le château.

Pour l’heure, il faut signaler que le goût de Château Margaux n’est pas encore très connu des amateurs. Certains d’entre eux ont eu une véritable révélation lors des dégustations. C’est en effet un cru qui présente une note de plaisir particulièrement forte.

R.P : Dévoilez-nous votre top 5 des Grands Crus  de  Bordeaux 2012

  • Doisy-Daëne Sauterne-Barzac
  • Château Margaux
  • Château Latour
  • Château d’Iquem
  • Petrus

R.P : Quel est votre avis sur le millésime des Grands Crus de  Bordeaux 2012 ?

J-M Q : Je dirais que Bordeaux a produit en 2012 un millésime très hétérogène. Son accès à la maturité particulièrement lent aurait eu besoin d’un bel été indien pour murir suffisamment les tanins des raisins. Mais cela n’a pas été le cas. Ces conditions sont très classiques à Bordeaux. Dans ce contexte, les terroirs plus précoces et plus chauds seront avantagés tout comme le Merlot. Sur le papier, ces critères devraient placer Pomerol en tête. Mais il existe des exceptions liées directement aux choix viticoles. Ainsi, là où les rendements étaient faibles, le raisin pouvait murir idéalement et le millésime a plus de chance de ressortir. En outre, certains Cabernets francs de la rive droite sont particulièrement réussis.

En d’autres termes, les situations divergent et 2012 est l’année idéale pour un critique à la recherche de la perle rare ! D’autant que sur le plan des médias, 2012 ne semble pas susciter l’enthousiasme. Il se dit même aujourd’hui à Bordeaux que les prix baisseront. C’est pourquoi, dans ce contexte particulier, de bonnes affaires serait à réaliser surtout pour les amateurs, un peu moins pour les spéculateurs.

R.P : Votre nouveau livre vient de sortir, pouvez-vous nous en parler ?

Guide-Quarin-des-vins-de-BordeauxJ-M Q : Ce nouveau guide présente ma méthode de dégustation où la bouche compte plus que le nez. Ce livre explique également de manière simple comment distinguer un vin rouge jeune mal fait et sans avenir d’un vin rouge jeune à fort potentiel.

Ce guide permettra également de faire la différence entre ce qui est bon, tout simplement, et ce qui est grand.

Ce livre comporte bien sûr une présentation de Bordeaux et de son vignoble avec notamment de nouvelles vues. Vous trouverez enfin dans ce guide le goût et la note de pas moins de 5.500 bouteilles sur 329 châteaux entre 1994 et 2010, avec notamment mes outsiders. Pour chaque cru, du millésime 1994 au millésime 2010 vous trouverez un tableau avec des notes sur 20 ou sur 100, les dates de consommation, le prix grand public ou encore l’indice de progression qualitative. Vous y trouverez des outils très pratiques comme par exemple un graphique sur lequel on visualise la qualité des millésimes en un simple coup d’œil.

R.P : Pouvez-vous nous révéler quelques valeurs montantes, en expliquant votre choix.

J-M Q : En tête : Léoville Poyferré, Pichon Baron, les meilleurs second crus du Médoc. Parmi les valeurs montantes, je citerais également Clos l’Eglise à Pomerol, La Clotte à Saint Emilion, Branon et Séguin à Pessac-Léognan.

R.P : Quels sont vos deux derniers coups de cœur ? En Bordeaux mais aussi en Bourgogne et en Champagne ?

J-M Q : Parmi les Bordeaux, le Clos Manou est sans conteste le plus bel outsider dans le Médoc. Puis vient la Conseillante 2001 à Pomerol que je classerais avant Petrus. En Bourgogne, la Tâche 2005 et le Mersault Goutte d’Or 2011 et 2010 de chez Buisson-Charles. Enfin, le champagne Krug 1988 est extraordinaire et le 1996 est le brillant successeur du 1988.

R.P : Enfin, dernière question, comment envisagez-vous l’après Parker ?

J-M Q : L’après Parker se définit probablement par une redéfinition du goût.

R.P :Merci Jean-Marc d’avoir répondu à nos questions. 

 Crédit photos :  www.quarin.com

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